
""De retour en France depuis une semaine, et le temps de remettre en route l’administratif, téléphone et autre, voici quelques lignes pour revenir sur ce qui s’est passé.
Nous sommes partis de Salvador De Bahia le 2 décembre dernier (en compagnie de Thomas Servignat, marin, sportif averti et technicien chez Gepeto Composite, chantier qui a construit le bateau), pour ramener le Class40 en France suite à la Transat Jacques Vabre.
A bord, nous avions, comme en course, le matériel nécessaire à l’analyse et la réception de fichiers météo, ainsi qu’un système de positionnement (Yellow Brick Tracking) réglé sur une position toutes les 4 heures pour être suivis par les proches à terre.
Pendant 15 jours, les conditions ont été plutôt clémentes, avec du vent de NE, nous obligeant à nous décaler dans l’ouest de l’Atlantique. Nous suivions attentivement les évolutions météo à long terme pour anticiper notre trajectoire à l’approche des Açores, en envisageant une escale si nécessaire.
La météo confirmait des conditions difficiles au passage des Açores pendant 24 heures avec ensuite une accalmie nous permettant de rejoindre la France ou la Corogne avant la prochaine dépression, prévue violente.
Le vent était établi autour de 35 nds avec des rafales et des molles à environ 200 milles dans le SW des Açores. Nous faisions route pour passer entre Flores et Faial, car passer plus sud n’était pas envisageable avec l’évolution de la météo et les conditions qui se dégradaient dans l’Est des Açores.
Nous savions que nous allions avoir des conditions musclées avec de la mer formée, nous allions traverser le plateau de l’archipel avec la remontée des fonds, zone critique, mais je savais aussi que nous étions sur un bateau fiable, avec un gros couple de redressement, sur lequel j’avais déjà subi de nombreuses fois ce genre de conditions, sans jamais avoir eu la sensation d’être aux limites des capacités du bateau. Autrement, je n’aurais pas hésité à m’arrêter à la cape, ce que j’ai déjà eu l’occasion de faire.
Dans la nuit, le génois s’est déchiré, ce qui nous a fait changer de trajectoire pour nous diriger vers Horta, afin de se mettre à l’abri et réparer.
Nous avions à poste, prêt à l’emploi, la trinquette et le tourmentin, nous avons donc décidé de faire route sous 2 ris et tourmentin, de façon à passer la nuit tranquille et arriver le lendemain soir. Le mode vent du pilote n’étant plus utilisable (la pale avait cassé quelque temps avant), nous étions en mode compas sur le pilote automatique.
Après une charge moteur coupée à 4hTU je suis allé m’assoupir à l’arrière du bateau, sur les voiles, tandis que Thomas était en veille proche de la table à carte, le bateau accélérait dans des surfs à 26 nds, puis ralentissait à 9 nds, les coups de gîte étaient raisonnables et la situation était stable, le bateau se comportait bien dans les vagues.
Endormi que d’un œil, comme tous les marins, j’ai senti un coup de gîte extrêmement violent : j’ai compris qu’on y allait.
Nous savons que, dans la mer formée, au portant, la vitesse étant la sécurité, il faut naviguer plus vite que les vagues pour ne jamais être rattrapé.
Dans notre cas, le bateau était un peu sous toilé et, dans une phase avec un peu moins de vent, un angle de vent trop bas avec un cap suivi par le pilote sans relancer l’accélération (sans aérien), une vague plus grosse, au mauvais moment, nous a embarqués. Le bateau s’est transformé en bouchon roulé par la déferlante… Aucune vague auparavant ne nous avait mis une alerte.
Dans la seconde qui suivi, le bateau était envahi par l’eau, je me suis retrouvé en apnée pendant une vingtaine de secondes. Ensuite, le bateau s’est redressé. J’ai entendu Thomas m’appeler, tout le monde est encore à bord. Pendant le chavirage, Thomas a été projeté devant sur les cloisons, il est blessé au visage, mais valide !
De l’eau jusqu’aux genoux qui continue à monter dans la zone de vie, nous comprenons très vite qu’il faut déclencher les secours, on ne pourra pas rentrer par nos propres moyens.
Le premier réflexe a été de couper les batteries pour éviter les risques d’incendie.
Le temps de chercher dans la nuit la balise EPIRB, rangée sous la marche de descente déjà immergée, se décroche de son support. Nous récupérons le sac de survie placé à coté, cherchons en un regard les combinaisons de survie que nous ne trouvons pas, et nous dégageons sur le pont à l’avant, seul endroit encore non immergé.
Sur ce bateau, c’est moi qui ai fait le choix des emplacements et amarré tout le matériel de sécurité, j’en suis heureux : aucune hésitation sur l’emplacement et l’amarrage.
Merci aux contrôleurs d’équipement qui peuvent être un peu pointilleux aux départs des épreuves, pour des gens quelquefois un peu indisciplinés…
Sous les conseils de Thierry Dubois, le sac de sécurité n’est pas un bidon de survie, mais un sac à dos, ce qui nous permet d’avoir les mains libres et de ne pas le perdre !
Nous déclenchons la balise de détresse, le plexis du capot avant se décapsule, et le sac des TPS nous tombe dans les bras, voilà un cadeau sympa !
Merci à Aurélien Ducroz d’avoir eu la bonne idée de mettre les 2 TPS dans le même sac au départ de la transat Jacques Vabre...
Nous savons qu’il est aux alentours de 5h ou 6h TU, seule la plage du bateau avant sort de l’eau, probablement grâce au crashbox avant fermé, le tableau arrière est immergé les balcons arrières sont sous l’eau, la trappe de survie probablement plus d’un mètre sous l’eau, le mât cassé collé au tableau arrière, la barre de flèche sort de l’eau, tout cela empêche complètement l’accès au radeau de sauvetage.
Beaucoup de débats autour de ça, pour cette situation, ce n’était probablement pas le meilleur emplacement, mais quel que soit l’endroit, il y aura toujours une situation où il sera inaccessible.
Dans les briefings sécurité auxquels nous assistons lors des départs des grandes épreuves, on nous dit de ne jamais quitter le navire tant qu’il flotte encore, nos bateaux construits en sandwich avec des compartiments remplis de mousse d’insubmersibilité ne peuvent pas couler, ils sont (presque) toujours repérés, même entre 2 eaux, c’est ce qu’on s’est répété toute la journée qui a suivi... en espérant qu’ils aient tous raison…
La jauge de la Class40 qui nous impose l’insubmersibilité est plutôt bien faite : merci à cette règle fondamentale et au groupe Lombard, architecte du bateau qui ne s’est pas trompé ! A bord d’un bateau de série classique, nous ne serions probablement plus là.
En position d’attente, nous imaginons pouvoir être survolés et repérés dans la matinée et récupérés plus tard par un cargo ou un navire militaire envoyé depuis les Açores.
Nous ne sommes pas les premiers à qui cela arrive. Dans ma tête, je repasse les épisodes de chaque fortune de mer que je connais (il y en a quelques-unes) et je me dis qu’il y a eu bien pire, je pense notamment à Raphael Dinelli et à Thierry Dubois lors du Vendée Globe 96’, à Halvard Mabire pendant le Rhum 94’, il y a eu bien pire que nous, l’eau est à 18°C, et nous sommes en combinaison de survie.
Le seul hic, c’est que nous ne sommes pas en course et une inquiétude naît petit à petit dans la journée : la possibilité que la balise ne fonctionne pas…
Dans mon cas, ce n’est pas la peur, mais la colère qui naît intérieurement. Comment peut-on en arriver là aussi vite ! On n’a pas été embarqué pendant le chavirage, nous sommes en combinaison TPS, la balise est déclenchée. On ne va quand même pas se faire avoir par une balise défectueuse !
Nous aurons la confirmation quelques heures plus tard que la balise avait bien fonctionné. Le premier signal de détresse a été reçu par le CROSS à 5h10 TU et la balise n’a jamais cessée d’émettre.
La mise en place des secours dans les conditions dans lesquelles nous sommes est compliquée, probablement d’autres opérations de sauvetage sont en cours, des navires de commerce sont détournés sur notre position en attendant.
Pendant notre attente, j’ai pensé, à plusieurs reprises, aller à l’arrière pour tenter de dégager le radeau, je me disais que si le bateau devait aller au fond, on s’en voudrait de ne pas avoir essayé.
Thomas, plus raisonné, m’en aurait empêché : il avait raison. Il a été exemplaire, il participait à sa première transat et a fait preuve de sang-froid tout du long, en étant blessé au visage.
A la tombée de la nuit, un avion de la marine portugaise nous a survolé, alors que nous commencions à envisager une seconde nuit dans l’eau.
Pour nous, c’est énorme, on nous cherche ! Je me rends compte de l’importance des nombreux stages de survie auxquels nous participons régulièrement, ils sont d’une aide énorme. Nous connaissons les procédures, les éventualités, les bêtises à ne pas commettre (on en trouve d’autres), j’avais eu l’occasion de refaire mon stage ISAF début octobre à la CEPIM de Krach (même en copiant les réponses sur Alexia BARRIER) on assimile beaucoup de choses !
Une bonne demi-heure plus tard, un hélicoptère du MRCC de Punta Delgada nous survolait pour nous récupérer, nous savons que c’est le moyen le plus performant qui puisse exister, nous pensions ne pas être à portée d’hélicoptère.
Nous n’avons plus qu’à obéir aux instructions du plongeur. Les sauveteurs ont été impressionnants ! Dans 40 nds de vent et 8 mètres de creux, ils manœuvrent au millimètre !
Je ne sais que dire pour les remercier. Nous avons eu beaucoup de chance d’avoir eu recours à eux, ils sont formés à très haut niveau et acceptent d’intervenir en limite de zone dans des conditions difficiles.
Après une vingtaine de transatlantiques, j’ai déjà subi quelques déboires, mais c’est la première fois que je ne suis pas apte à ramener mon bateau au port et qu’il est nécessaire de déclencher les secours.
Encore une fois, c’est grâce aux stages de survie, aux briefings sécurité, au matériel imposé à bord par les RSO contrôlé à chaque départ de course, au CROSS Gris-Nez qui a reçu et transmis notre appel de détresse et le MRCC de Punta Delgada, que nous avons été récupérés sains et saufs.
Un grand merci donc à tous ces intervenants bien rôdés depuis des années, souvent dans l’ombre, qui nous permettent de prendre le départ de courses, avec tous les éléments pour préparer nos bateaux à notre sécurité.
J’ai une grosse pensée pour le groupe de proches, organisé par Catherine Ecarlat, qui a été dans l’attente pendant de longues heures sans trop de nouvelles. On s’excuse.
Un immense merci à Armando Castro, directeur du port de plaisance d’Horta qui a fait le relais entre le MRCC et nos proches. Il a, une fois encore, déployé des montagnes d’énergie et de gentillesse pour rassurer, informer, participer à la logistique de notre accueil à terre.
A la sortie de l’hélicoptère, nous avons été pris en charge par l’Hôpital de Terceira où l’équipe de soignants a été formidable avec nous. Nous supporter pendant 2 jours n’a pas dû être facile ! Merci à Michaele qui nous a amené son support logistique…
Merci à Jérôme et Marc qui, depuis plusieurs années, m’accompagnent dans les montages de projets, et encore une fois sur cette opération ont passé énormément de temps à rassurer et organiser notre retour.
La question que tout le monde se pose : et le bateau ?
Le Class40 150 baptisé Pinocchio a été construit par Gepeto Composite.
Pour l’ironie du sort, l’histoire du bonhomme de bois se termine dans une caisse en bois dans le ventre d’un cachalot, au large des Açores...
Le Class40 Pinocchio, portant les couleurs de Crosscall Chamonix Mont-Blanc sur la Transat Jacques Vabre, continue sa navigation entre deux eaux. Nous avons toujours sa position grâce à la batterie interne de la Yellow Brick.
Nous lançons donc actuellement avec mon équipe, et en accord avec l’assurance, une opération pour récupérer le bateau et faire ainsi en sorte qu’il ne représente plus un danger pour la navigation.
Très belles fêtes à tous
Louis"
@Thomas Servignat Aurelien Ducroz Class40 Transat Jacques Vabre
Photo Bernard Le Bars

bon réveillon au sec à toutes et tous
